Quel est notre thème de recherche ?
Nos recherches sont divisées en 3 axes
Axe 1: Nous tentons de comprendre les mécanismes régissant l’expression de traits de personnalité. Ces traits sont des phénotypes comportementaux qui sont propres à un individu et qui définissent ainsi sa personnalité. On parle par exemple du niveau d’audace, d’aggressivité, d’activité, ou encore d’exploration, pour ne citer que les plus connus. Tout comme l’homme, les poissons (et autres animaux) ont chacun une personnalité. Certains sont ainsi plus audacieux que d’autres (ils prennent plus de risques), alors que d’autres sont plus timides. Le rivulus des mangroves est un excellent modèle pour étudier l’expression de tels traits de personnalité au sein de populations très peu diversifiées génétiquement. Nous tentons dès lors de comprendre les possibles mécanismes épigénétiques dans le cerveau impliqués dans ces comportements.
Axe 2: Les perturbations environnementales sont actuellement nombreuses et variées. Les organismes n’ont d’autre choix que de s’y adapter…ou disparaître. Nous avons pour objectif de comprendre les effets à long terme de stress environnementaux sur nos modèles de killifish. Ceux-ci sont plus pertinents que les effets à court terme, ou aigüs, dans le sens que les organismes sont continuellement en contact avec de faibles niveaux de stress, mais pouvant affecter la survie et l’équilibre des populations. Ainsi, nous nous focalisons sur deux effets présumés. D’une part, nous voulons comprendre les effets qu’a un stress environnemental présent pendant les premiers stades de vie de l’organisme, sur l’animal adulte. Ces effets sont qualifiés de “permanents” s’ils sont présents dès l’exposition jusqu’au stade adulte, ou de “post-posés” s’ils n’apparaissent que plus tard dans la vie de l’animal, alors que le stress a disparu depuis longtemps. Ces derniers sont d’un intérêt humain important car ils peuvent expliquer l’apparition de maladies à un âge avancé alors que la cause environnementale est à rechercher bien plus tôt. Le rivulus des mangroves, de par sa faible diversité génétique, est un modèle de choix afin d’étudier les mécanismes épigénétiques pouvant expliquer les effets à long terme de stress. Un deuxième modèle, étudié dans notre laboratoire, est également un modèle de choix car il a la particularité de vieillir très vite (en 5 mois) et donc d’imiter le vieillissement humain: le killifish turquoise, Nothobranchius furzeri. Ce poisson vit dans des marres temporaires de l’Afrique du sud-est. Plusieurs stress environnementaux sont étudiés mais nous nous focalisons principalement sur l’effets de composés neurotoxiques largement répendus dans l’environnement comme les pesticides pyréthrynoïdes (perméthrine, deltapéthrine, bifenthrine, cyperméthrine, etc).
Axe3: Depuis Charles Darwin, les théories de l’évolution se nourrissent de nouvelles données scientifiques qui nous permettent d’affiner nos connaissances sur les mécanismes impliqués. La théorie synthétique étendue de l’évolution (“extended evolutionary synthesis”) a pour objectif de regrouper les mécanismes classiques darwiniens avec des observations plus récentes comme les mécanismes épigénétiques. Grâce aux modèles killifish, nous tentons de comprendre le rôle joué par l’épigénétique dans l’adaptation et l’évolution. A ce jour, deux grandes questions limitent notre interprétation. D’une part, la variabilité épigénétique est difficile à différencier de la variabilité génétique. Cela empêche de comprendre correctement la part réellement jouée par l’épigénétique dans l’adaptation et l’évolution. D’autre part, pour que l’épigénétique ait un effet durable sur une population, il faut que les marques épigénétiques puissent être transmises d’une génération à l’autre. Si cela est possible, on est encore loin de bien en comprendre les mécanismes, et surtout les limitations. Pour soulever ces questions, le rivulus des mangroves est un modèle de choix puisqu’il présente naturellement peu de diversité génétique, mais que cette diversité est variable d’une population à l’autre. Nous menons ainsi des campagnes de terrain au Belize et en Floride afin de suivre la diversité épigénétique de ces populations. Nous tentons également de comprendre le passage de ces marques entre les générations via ce que l’on appelle l’hérédité épigénétique transgénérationnelle.
Quelles sont les applications de nos recherches
Outre produire des connaissances fondamentales sur les modèles biologiques étudiés, sur les écosystèmes où vivent ces espèces (comme les mangroves), sur l’expression de personnalités, ou encore sur les théories de l’évolution, nos recherches peuvent déboucher sur des applications concrètes utiles à l’homme. Nous pouvons ainsi citer:
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l’évaluation du risque environnemental (ERE): dans un monde frappé par des changements globaux climatiques ou de pollution, la prise en compte des effets à long terme des stress sur les organismes permet de mieux en évaluer les risques (à la fois en terme de santé humaine et de biodiversité), et donc de mieux les contrôler.
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le développement de maladies liées à l’âge: les effets postposés d’une exposition à un stress environnemental, comme à un composé neurotoxique, peuvent être dramatiques en terme de santé publique, comme le dévelopepemnt de maladies neurodégénératives. Nos modèles de killifish, avec des particularités biologiques uniques (faible diversité génétique ou vieillissement précoce) permettent de mieux comprendre le développement de telles maladies, et donc de potentiellement mieux les traiter.
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l’origine des traits de personnalité: mieux comprendre les mécanismes régissant l’expression de traits de personnalités permettra également de mieux comprendre les troubles de ceux-ci ou des maladies qui modifient la personnalité.
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l’origine de variations phénotypiques: comprendre l’origine des variations phénotypiques dans une population permet de mieux connaître son potentiel adaptatif et donc son potentiel de réponse face à un nouveau stress environnemental. La compréhension du rôle joué par les mécanismes épigénétiques dans cette variation phénotypique est fondamental afin de comprendre l’évolution de certaines maladies (ex: cancers) ou de prédire les réponses individuelles à une agent pathogène (ex: SARS-Cov2).
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conservation de la biodiversité: une meilleure compréhension des mécanismes impliqués dans l’évolution des populations sauvages permettra de mieux définir des unités évolutives et d’affiner les politiques en terme de conservation de la biodiversité.
Vous pouvez regarder notre documentaire sur le travail de terrain.